« Osez Joséphine ! » Pour les plus jeunes, c’est un formidable tube d’Alain Bashung. Mais c’est aussi le titre d’une pétition qui a réuni quelque 40 000 signataires il y a trois ans. Elle reprenait une suggestion de Régis Debray en 2013, pour demander au Président de la République l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon : « Artiste, première star internationale noire, muse des cubistes, résistante pendant la Seconde Guerre mondiale dans l'armée française, active aux côtés de Martin Luther King pour les droits civiques aux États-Unis d'Amérique et en France aux côtés de la Lica, Chevalier de la Légion d'honneur à titre militaire, croix de guerre 1939-1945 avec palme, Médaille de la Résistance (avec rosette), Médaille commémorative des services volontaires dans la France libre. Nous pensons que Joséphine Baker, 1906-1975, a sa place au Panthéon. »
Ce sera chose faite, le 30 novembre, après une décision du Président de la République. Le corps de Joséphine Baker, selon les vœux de sa famille, restera à Monaco où elle repose au cimetière marin. La présence de l’artiste au Panthéon sera manifestée par un cénotaphe comme ce fut le cas, entre autres, pour Aimée Césaire, le chantre de la négritude, le poète, l’homme politique martiniquais, inhumé à Fort-de-France.
Joséphine Baker sera la sixième femme à recevoir cet hommage de la Nation, après Sophie Berthelot, la physicienne Marie Curie, prix Nobel de physique puis de chimie, les résistantes Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz et enfin, figure bien connue de notre vie politique, Simone Veil, en 2018, un an après son décès.
Une Française venue d'ailleurs
Joséphine Baker… Une Française venue d’ailleurs, aussitôt adoptée par son pays d’adoption. Née à Saint-Louis, Missouri, le 3 juin 1906, la délicieuse Joséphine saisit la première occasion qui se présente à elle, en 1925, pour quitter son pays natal. « Un jour, confiera-t-elle plus tard, j'ai réalisé que j'habitais dans un pays où j'avais peur d'être noire. C'était un pays réservé aux Blancs. Il n'y avait pas de place pour les Noirs. J'étouffais aux États-Unis. Beaucoup d'entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris ».
De la France, elle disait encore : « Ici, on me prend pour une personne et on ne me regarde pas comme une couleur ». Et plus tard, lorsqu’elle accompagne la marche de Martin Luther King pour les droits civiques à Washington en 1963, vêtue de son uniforme de l'armée française, avec ses décorations : « En France, je n'ai jamais eu peur ».
Un succès phénoménal
Après avoir fait salle comble en 1925 au théâtre des Champs-Élysées, comme danseuse dans la Revue nègre, elle se lance avec autant de bonheur dans la chanson. On ne saurait trop recommander à ceux qui l’ont peut-être un peu oubliée, de recourir aux archives sonores pour comprendre et bien mesurer le phénoménal succès de celle qui chantait, avec un accent d’une irrésistible séduction « j’ai deux amours, mon pays et Paris », sur une musique de Vincent Scotto. Titre qui, dès lors, ouvrira chacun de ses récitals et imposera définitivement celle qu’on appelait la « Vénus noire » comme l’unique rivale de Mistinguett, l’autre grande vedette de ces Années Folles qui touchaient à leur fin. Nous sommes en 1929.
L’artiste, sa beauté, son charme, son talent, avait conquis le Tout-Paris, la France et l’Europe. La femme de tête, la femme de cœur, son sens de l’honneur, son courage, son amour de la patrie, sa nouvelle patrie, allaient toucher d’une tout autre manière encore le cœur de Français, lorsque, après la victoire, ils découvriront que dès 1939, elle s’était mise au service de la France libre.
Au service de la France libre
Quand la fête est finie, en 1939 donc, elle décide de servir son pays après l’avoir charmé et devient dès septembre un des agents du contre-espionnage français. Elle se mobilise aussi pour la Croix-Rouge. Après la bataille de France, elle s’engage en novembre 1940 dans les services secrets de la France libre, en Métropole puis en Afrique du Nord, jusqu’à la Libération.
Au lendemain de la guerre, en 1947, elle acquiert le château des Milandes, en Dordogne, qu’elle louait depuis 1937 et où elle vivra jusqu’en 1969. Elle ne peut pas avoir d’enfants. Qu’à cela ne tienne ! Son château en accueillera douze de toutes origines, qu’elle a adoptés et qu’elle appelle sa « tribu arc-en-ciel ». Quand on aime on ne compte pas. Joséphine aimait aimer.
La beauté et la bonté, le talent, le charme, la force, le courage, la générosité… Peut-on vraiment avoir tous les dons, tous ces dons ? N’est-ce pas trop pour un seul homme, pour une seule femme ? Bien sûr que non. On en a la preuve. Cela s’appelle la preuve par Joséphine.
Osez Joséphine ? Évidemment !
Une cérémonie sous le signe de la liberté et de la justice
C'est un symbole fort. Le cénotaphe qui sera porté lors de la cérémonie au Panthéon sera rempli de poignées des quatre terres qui « étaient chères à Joséphine Baker » : la ville américaine de Saint-Louis (Missouri) où elle naquit en 1906, Paris où elle connut la gloire, le château des Milandes (Dordogne) où elle installa la « tribu arc-en-ciel » de ses douze enfants de toutes origines et religions, et Monaco où elle termina sa vie et où elle repose. Ses enfants ont en effet décidé de ne pas déplacer le cercueil de leur mère. Pour son entrée au Panthéon, le cercueil, porté par des militaires, remontera la rue Soufflot en direction de l'édifice, la Marseillaise sera jouée par la Garde Républicaine et les chœurs de l'armée et des enfants chanteront un air de la diva. Une projection vidéo sur la façade du Panthéon retracera les grandes étapes de sa vie avant le discours d'Emmanuel Macron, puis l'ouverture des portes au son de la composition spécialement créée par le musicien Pascal Dusapin. Les élèves de plusieurs écoles, dont celles portant le nom de Joséphine Baker, ont été invités à la cérémonie.
Mise à jour : décembre 2021